Pensées intrusives, tensions physiques, fatigue mentale… Le trouble anxieux généralisé touche de nombreuses personnes, souvent sans qu’elles en aient pleinement conscience. Le Dr Jean-Christophe Seznec, psychiatre et auteur de l’ouvrage Débranchez votre mental ! (Éditions Leduc S.), nous aide à comprendre cette anxiété de fond qui ne laisse jamais de répit.
Un trouble souvent invisible
De nombreuses personnes atteintes de TAG continuent de mener une vie apparemment normale. Elles travaillent, s’occupent de leur famille, gèrent leurs obligations… mais sous tension permanente. « Ce qui fait basculer dans le trouble pathologique, c’est le fait que l’anxiété devienne un handicap, qu’elle gêne les activités de la vie quotidienne, qu’elle pousse à éviter, à lutter contre ce qu’on ressent, ou à développer des stratégies d’apaisement inefficaces », explique-t-il. Parmi ces comportements de compensation, on retrouve l’alcool, les médicaments ou la consommation de drogues, autant de tentatives pour anesthésier l’inconfort.
Un terrain familial, mais pas une fatalité
Le TAG est souvent lié à un terrain préexistant. « Il y a des causes endogènes, des natures, des personnalités. C’est un trouble que l’on retrouve fréquemment dans les familles d’anxieux », observe le psychiatre. Cela ne signifie pas pour autant que l’on soit condamné. « En psychiatrie, hérédité ne veut pas dire fatalité. Il y a toujours moyen d’agir, de lisser un peu les choses », insiste-t-il. L’éducation joue aussi un rôle dans l’expression de cette anxiété, notamment lorsqu’un climat familial anxiogène renforce la vulnérabilité de l’enfant.
Une anxiété vécue dans le corps
Les manifestations du TAG ne se limitent pas aux pensées. Elles s’expriment aussi dans le corps. « L’anxiété, c’est un vécu physique. Elle se traduit par une accélération du cœur, un nœud dans la gorge, le ventre qui se serre », décrit le Dr Seznec. Le sommeil est particulièrement sensible à cette surcharge mentale : les pensées qui tournent en boucle peuvent empêcher l’endormissement ou fragmenter les nuits. À long terme, cette fatigue chronique peut favoriser un épisode dépressif. Et ce qui alimente souvent le trouble, c’est la peur même de ressentir les signes de l’anxiété. « On est anxieux d’être anxieux. Le cœur s’emballe, la gorge se serre, et la personne anticipe une crise… ce qui alimente encore plus son mal-être. C’est une véritable spirale, qu’il faut désamorcer le plus tôt possible. »
Une évaluation clinique essentielle
Pour poser un diagnostic de TAG, un entretien clinique est indispensable. « Dans tous les troubles anxieux, il faut d’abord éliminer des causes organiques. Ce serait une erreur de passer à côté d’un trouble du rythme cardiaque, d’un problème thyroïdien ou d’une atteinte pulmonaire », prévient-il. Le médecin généraliste est souvent le premier maillon, mais le psychiatre prend le relais pour affiner le diagnostic et écarter toute autre pathologie.
Une prise en charge à plusieurs dimensions
Le TAG se soigne, et de nombreux patients voient leur état s’améliorer avec le temps et une prise en charge adaptée. « Le trouble peut se lisser, on n’est pas condamné. D’ailleurs, avec l’âge, les troubles anxieux s’améliorent souvent », rassure le Dr Seznec. Le traitement repose d’abord sur les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et la thérapie ACT (acceptation et engagement), qui permettent de mieux comprendre ses pensées et d’apprendre à ne plus les combattre. « Il ne s’agit pas de supprimer l’anxiété, mais de changer notre rapport à elle. » Il insiste également : « La souffrance vient souvent de la lutte. On veut éviter les sensations désagréables, les pensées difficiles, on veut les faire taire… et cette lutte constante épuise. »
Un soutien médicamenteux au cas par cas
Chez les adolescents ou les jeunes adultes, le psychiatre propose parfois une approche qu’il qualifie de « traitement ceinture et bretelles » : un anxiolytique à demi-vie longue, pour éviter la dépendance, et un bêtabloquant comme le propranolol. « Cela permet de casser la spirale anxieuse. Quand on est anxieux, on se met à avoir peur d’être anxieux. Si on coupe la réaction physique, on désamorce le mécanisme. » Si les symptômes persistent, un traitement de fond par antidépresseurs sérotoninergiques peut être envisagé. « Ce sont les meilleurs anxiolytiques sur le long terme. »
Retrouver un lien avec son corps
Le travail thérapeutique ne se limite pas à l’esprit. « On est beaucoup trop dans la tête. Il faut redonner de la place au corps », affirme-t-il. Respiration, cohérence cardiaque, yoga, méditation… Toutes ces pratiques peuvent aider à rétablir l’équilibre. L’activité physique régulière joue également un rôle central : elle agit à la fois sur le stress, le sommeil, l’humeur. Le psychiatre insiste aussi sur l’importance de l’hygiène de vie globale : manger des aliments vrais, dormir suffisamment, limiter les sollicitations numériques, sortir du surmenage.
Adolescence, événements de vie… Des moments charnières
Certains moments de la vie sont plus propices à l’émergence du trouble. « À l’adolescence, un volcan émotionnel se met en route. Les jeunes manquent d’outils pour accueillir cette sensibilité. C’est une période à risque », explique le Dr Seznec, qui milite pour une meilleure éducation émotionnelle dès l’école primaire. « On devrait transmettre des outils de régulation dès l’école primaire. Trop d’adolescents arrivent dans cette période de bouleversement sans boussole intérieure. » Le TAG peut également apparaître plus tard dans la vie, à la faveur d’un bouleversement majeur : grossesse, deuil, maladie grave. « Dès qu’il y a une modification importante de l’équilibre intérieur, cela peut déstabiliser la personne. » Le psychiatre évoque également les pistes de recherche actuelles autour de l’inflammation : « Un état inflammatoire chronique, une maladie grave ou un dérèglement immunitaire peuvent favoriser ou amplifier les troubles anxieux. »
Un trouble à comprendre pour mieux s’en libérer
Le message est clair : le trouble anxieux généralisé peut être reconnu, pris en charge, et largement atténué. « Il faut sortir de la lutte contre ses pensées, accepter qu’elles soient là sans leur donner tout le pouvoir. C’est en changeant notre rapport à l’anxiété qu’on reprend le contrôle. » En complément, le Dr Seznec recommande le témoignage du psychologue Stephen Hayes, inventeur de la thérapie ACT, qui a lui-même souffert de TAG. « Dans un TEDx très éclairant, il raconte comment il s’est libéré de cette anxiété en changeant sa posture face à ses pensées. C’est un message d’espoir. »
Peggy Cardin-Changizi